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Artistes

 

Infringez-vous ! Pour sa première édition européenne, le festival Infringement directement importé du Canada arrive à Bordeaux pour une manifestation déjantée d’artistes engagés. Cette démarche interdisciplinaire, née en réaction à l’omniprésence néolibérale, encouragera la liberté d’expression en soutenant une démarche critique du 11 au 14 octobre 2007 et invite quiconque souhaitant empiéter sur la monoculture rampante qui envahit chaque fibre de notre quotidien.

 

- Festival interdisciplinaire de démarches engagées -

 

J’infringe, tu infringes, il infringe

Nous infringeons !

ET VOUS ? ? ?

 

L’idée fringe de Bordeaux :

 

Le festival infringement de Bordeaux s’affiche aux couleurs des liens que l’on peut établir entre la théorie de l’engagement et/ou de la résistance et de sa mise en forme artistique. En d’autres termes, il s’agit de donner un visage à un festival qui pose des questions de fond en terme de résistance face au système et à sa puissance de récupération.

Il semble qu’il y ait une réelle nécessité à créer des ponts entre théorie et pratique ; à tout le moins qu’il faut tenter d’en établir quelques uns. Autrement dit, la question est la suivante : quelles sont les marges de manœuvres de retournement de la situation aujourd’hui ? Quel espace octroie-t-on à l’art engagé pour faire entendre ses formes de contestation ?

***

Manet et les impressionnistes ont ouvert la voie aux avant-gardes qui s’émancipèrent des grandes instances politiques et religieuses conservatrices jusque dans les années 80 où il s’agissait de contester le pouvoir établi ; parfois à coups de manifestes (International Situationnisme, International Lettrisme, Manifeste Surréaliste plus tôt etc.), de slogan radicaux « no future » chez les punks, COBRA, de happenings extrêmes (actionnistes viennois). Si l’on constate un retour de l’engagement aujourd’hui, les lointains lendemains idéologiques, cette époque moderne des grandes causes collectives du début du siècle est aujourd’hui révolue. Le militantisme des années 70 serait simplement « un médiateur au sein de la communauté », et « l’art incapable de délivrer un quelconque message aurait sombré dans une futilité qui ne rapprocherait « du monde de la communication et de celui de la mode.»1.

A la suite donc des ultimes soubresauts et croyances liées au mouvement de mai 68, les rapports art/politique ne suscitent plus grand intérêt. Les utopies modernistes qui n’auront eu raison dans leur réalisation deviennent subitement intellectuelles. Si l’on parle volontiers et à raison d’époque révolue, il semblerait quelques parts que l’on persiste à vouloir croire en sa faisabilité et cela passe par la nécessaire d’en renouveler les formes. L’œuvre d’art aujourd’hui s’inscrit « dans une perspective critique ou de résistance mais aujourd’hui « sans réel besoin de rupture avec l’ordre existant » » 2.

L’art aujourd’hui nous dit Paul Ardenne, « accompagne le fait social, le « marche avec », renonçant tout à le précéder qu’à lui dicter sa propre mesure, ainsi qu’en formèrent le vœu hier encore les modernes »3. Ce que les avant-gardes avaient pressenti, à savoir l’imbrication de l’art et la vie, s’élabore aujourd’hui sur la base d’interrelations et du décloisonnement entre les disciplines, engendre des pratiques multiples et exprime de façon inhabituelle le monde, la société, l’environnement dans lesquels nous vivons.

L’art contemporain étant étroitement lié à l’ensemble des activités humaines, le réalise.

Donc l’art avance, il évolue avec la société en tant que miroir social, assumant parfois plus qu’une fonction sociale, une fonction politique pour tenter d’agir sur le monde. Il court au rythme d’un univers soumis à d’incessants et rapides bouleversements scientifiques, technologiques, sociaux et politiques. Dans son parcours, il lui arrive d’être tour à tour de l’avant-garde, loin du compte, à la fois impliqué et à distance, contraint de remettre constamment en cause son statut dans une société toujours prête à l’instrumentaliser.

C’est dans un contexte actuel abusivement imputé des termes tels que : crise, fin de l’art, art contemporain du n’importe quoi, déclin, décadence etc. que la question de l’engagement aujourd’hui semble venir à point nommé, là où précisément l’on s’interroge sur sa définition, sur sa légitimité – quoi, comment, pourquoi ? - et sur son prétendu renouveau. Toujours depuis la naissance des avant-gardes post-impressionnistes jusqu’à aujourd’hui, la résistance est présente. Elle ne l’est ni plus ni moins autrefois qu’actuellement, simplement « les formes inventées en même temps qu’induites par le dispositif de l’époque et de la situation contemporaines sont partiellement nouvelles »4.

L’art, qui d’une certaine manière et par définition tient toujours une longueur d’avance sur le réel, « classe et déclasse, (…) range et dérange, (…) ordonne et désordonne, (…) structure et déstructure le monde en ses représentations et manifestations »5, « toujours là où on ne l’attend pas » : jusqu’à quel point peut-il encore déranger ?

Dès lors pourquoi ne pas essayer de mettre en lumière les points d’accroches qui seraient sinon possibles, déjà compatibles ?

***

Aujourd’hui l’on ne se pose plus forcément en s’opposant et la censure qui consistait en supprimer la diffusion d’un « objet », quoique toujours en place, est devenue quelque peu poussiéreuse, plus assez efficace à l’égard des forces et formes de la résistance. L’équation est simple : si l’on ne s’offusque plus devant ce qui nous gêne, l’impact s’efface. Plus encore si l’on opère le schéma inverse et que l’on prête une attention hypnotique – en surdiffusant cet objet – alors le nihilisme est d’autant plus au rendez-vous que l’on pourra dire : jamais je vous ai empêché de montrer telle chose ou telle autre. La censure revêt autant de visages qu’il y a de résistances qui tentent désespérément de nomadiser en dehors des flux du consensuel et de la machine qui normalise. De manière générale, la résistance par définition ne s’éloigne réellement jamais de ce à quoi elle s’oppose. Pouvoir et résistance évoluent de façon inhérente : dès lors qu’il y a pouvoir, une résistance se met automatiquement en place « tout état est flanqué de son double (…) La résistance est interne et coextensive à l’instance »6.

Toujours la résistance relève donc, d’une certaine manière, d’une esthétique du risque ; c’est de cette mise en danger que naît la force de l’œuvre engagée, la puissance de pertinence dans son rapport au monde.

Face à l’engagement, à la résistance, l’ordre établi corroboré par les grandes instances médiatiques répond : récupération. Là où les avant-gardes ont voulu couper court au pouvoir, le pouvoir dominant joue le jeu de la riposte en retournant l’arme contre eux. Une telle invention nous dit Françoise Proust demande une stratégie autant maligne qu’efficace, sans mauvais jeu de mot, tout un art de « l’emprunt, du mime et des doublures. Répliquer, c’est voler et revêtir les armes de l’adversaire, les retourner comme un gant et les lui présenter en retour »7. Ne dit-on pas malin comme un singe : singer l’autre en l’imitant, en singeant ses faits et gestes ainsi le boomerang revient comme une redoutable bombe dans les bras de l’envoyeur. Retourner, renverser, détourner etc. Tel est le principe même de ce que Guy Debord nommait déjà : la récupération.

Entendons-nous bien : nous ne voulons en aucun cas réduire ce festival en le théorisant ou pire encore en le conceptualisant. Au contraire, nous partons de quelques idées théoriques pour donner une autre orientation et faire éclater la création et les artistes dans une mise en forme collective. L’intention s’efforce plus que jamais d’inciter les artistes engagés à établir sinon des réseaux, au moins des connexions, de mettre en contact pour mieux donner une impulsion nouvelle aux îlots de résistance.

***

La particularité de l’infringement tient du fait que le mode de fonctionnement de ce festival est importé du Canada. Je crois qu’il existe une réelle prise de risque de la part de tous ces artistes qui se sont manifestés et qui, malgré les conditions particulières, ont répondu présent. Ce qui est possible au Canada ou aux Etats-Unis ne l’est pas forcément, et à juste titre d’ailleurs, en France.

Et pourtant, une question inextricable me vient à l’esprit : pourquoi pas ? Précisément, il semble que le fait de s’affranchir des institutions et d’être soutenus par des artistes est un cri assez strident - c’est en partie pour ces raisons que ce festival et la démarche infringement ne semblent pas tout à fait dénués d’intérêt.

Car c’est bien de l’art dont nous parlons ici de ses formes, de sa chair, de sa matière de ce qu’il inspire et de ce qu’il expire, de sa respiration dans la société. En d’autres termes d’une question de vie, et non pas directement de ses alentours – je pense ici aux politiques locales et aux institutions (c’est peut-être une erreur, un manquement énorme mais c’est un parti pris du festival, avec ses maladresses et ses oublis). La critique de ces institutions est reléguée et faite par les artistes et déjà le fait de ne mandater aucune institution s’inscrit comme une lettre ouverte et un appel à une certaine remise en question.

Il s’agit ni plus ni moins de chercher à savoir comment les artistes mettent en forme l’engagement et ce festival interdisciplinaire se veut une revendication d’un mode d’expression de tous horizons engagés, d’où son éclectisme. Ce festival est en quelque sorte, une œuvre d’art géante qui s’arc-boute par la contribution de plusieurs artistes de différentes formations et lieux. C’est son cri : un sursaut, un éclair qui va durer quatre jours. Le cri de cette quarantaine d’artistes à l’unisson : un cri précis à un moment donné – le fringe cri. Je ne suis pas certaine du tout qu’il y aura une deuxième édition sur Bordeaux. Ce dont je suis cependant assurée c’est que le festival rhizome et donnera l’impulsion pour d’autres éditions qui se dérouleront en Europe l’année prochaine – Tours, Berlin au moins. La tentative doit passer le relais.

Le festival chercher à se positionner et pendant ces 4 jours de sortir du circuit, de nomadiser, de créer des lignes de fuites et de s’y engouffrer pour implicitement jeter la question en l’air : effectivement, le système fonctionne différemment au Canada et alors ? Et pourquoi pas en France ? Ne pourrions-nous pas voir si ce modèle fonctionne ? Est-ce que cela va gêner ? qui ? Et à quel moment donné ? Et si tel est le cas, cela devient très intéressant car cela signifie qu’en perturbant l’ordre des choses, les politiques (pour prendre très, très large) sont pris en quelque sorte à contre-pied. On modifie artistiquement (et non génétiquement pour une fois) l’ordre des choses, or c’est bien cela qui devient intéressant puisque c’est le principe même de la résistance : de perturber, casser, faire des ruptures, créer des plis pour s’y engouffrer et mettre au monde quelque chose sinon de nouveau, de différent.

Ce fonctionnement infringement américain importé ici offre cette ouverture de ne pas se stigmatiser dans un fonctionnement français trop souvent sclérosé, pollué par la mode des festivals qui se développent à vue d’œil et n’offrent dans leur programmation que de la redite faisant presque dangereusement concurrence au plus comique de répétition des comiques de répétition.

S’engager, résister c’est être résolument fringe en évitant la récupération sous toutes ses coutures.

Soyons clairs par ailleurs, les artistes viennent gratuitement, portés par leurs convictions. Effectivement dans un tel mode de fonctionnement, on peut se demander à juste titre comment ces artistes vivent de leur art. Notre embryon de réponse est la suivante : quand on est engagé politiquement la question ne se pose pas en terme de peut-on mais doit-on vivre de son art ? Bon bien voilà l’exemple type que dans certains cas, théorie et pratique sont difficilement conciliables (ou alors demande des convictions extrêmes ou des concessions difficiles mais pas incompatibles – les films de Pierre Carles le montrent d’une certaine façon).

En quelques mots : halte aux béni-oui-ouis ! Contrecarrons les désirs de contes de fées, ou les illusoires pays de schroumpfs et compagnie : soyons concrètement fringe !

Cynthia Brésolin

1 Marc Jiménez, ibid., p.278.

2 Marc Jiménez, La querelle de l’art contemporain, Gallimard, Folio/Essai, p.275, citation extrait du Monde diplomatique, 1990. « (…) En somme, ils n’auraient « d’autre projet que celui induit par le libéralisme marchand ; et pratique pour sortir des voies de garage ainsi réservées à l’art ».

3 Paul Ardenne, L’art dans son moment politique, op. Cit., p.18.

4 François Proust, ibid., p.11.

5 Daniel Vander Gucht, Art et politique, pour une redéfinition de l’art engagé, Labor, coll. Quartier Libre, 2004, p.11.

6 Françoise Proust, De la résistance, p.10.

7 Françoise Proust, De la résistance, p.12.